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Handicap et inclusion : « il faut casser les codes ! »

Stéphanie Gateau (ISMA 1991), diplômée d’Audencia et fondatrice de la startup inclusive Handiroad, est une figure emblématique de la lutte contre les discriminations. Récompensée pour son engagement, elle milite pour l’accessibilité et incarne une nouvelle manière d’aborder le handicap. À travers son parcours personnel et professionnel, Stéphanie nous invite à repenser l’inclusion des étudiants en situation de handicap au sein de l’école, premier socle pour préparer à un monde du travail plus inclusif.

Q.1 : Peux-tu revenir sur ton expérience à Audencia et sur les défis que tu as dû relever tout au long de ton parcours ?

Que ce soit à Audencia ou tout au long de mes études, j’ai été confrontée à une réalité et à des obstacles qu’on peut difficilement imaginer tant qu’on ne les a pas vécus. Fonctionner différemment et être dans un environnement qui n’a pas été conçu pour accueillir tous les profils, quels qu’ils soient, est une erreur fondamentale dans n’importe quelle structure. Fondamental parce que cela signifie qu’en amont, il n’a pas été envisagé que les études soient accessibles à tous. Fondamental parce que cela traduit le manque de prise de conscience que, si on veut offrir une égalité des chances, il faut s’en donner les moyens. Fondamental parce que les études et, plus largement, l’éducation et l’école sont un premier pas pour préparer au monde du travail, et que l’on va reproduire ce qu’on a vécu lorsqu’on occupera des responsabilités.

Si on n’a pas été confronté au handicap et à la différence, on ne saura pas le faire non plus en entreprise.

Le rôle de l’école est donc fondamental et la première pierre à l’édifice des leaders que nous formons, qui seront peut-être les futurs grands patrons de ce pays. La difficulté est également contextuelle. À mon époque, on ne parlait pas du handicap et on ne s’interrogeait pas encore sur les problématiques de l’inclusion comme vous le faites aujourd’hui. Concrètement, j’ai parfois dû affronter le regard des professeurs qui ne comprenaient pas pourquoi je les fixais (je suis atteinte de surdité et je fais de la lecture labiale). J’ai dû trouver des astuces et des moyens de compensation épuisants pour m’adapter. Je n’avais pas encore été diagnostiquée pour le TSA (Trouble du Spectre de l’Autisme) et le TDAH (Trouble Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité). À cette époque, le handicap était encore tabou et la société nous renvoyait une image si négative qu’on avait honte et qu’on cherchait à ne pas se faire remarquer, voire à être invisible. Le fait que l’on ne m’ait pas préparée au monde du travail a aussi été une erreur, car quand je me suis retrouvée face à des recruteurs, le choc a été violent.

Quand j’ai expliqué comment je fonctionnais, on m’a promis 25 ans de chômage.

Aujourd’hui, on peut identifier les obstacles, les freins à tous les niveaux, travailler sur les biais cognitifs et les préjugés, et agir à tous les niveaux pour que le handicap ne soit vu ni comme de la charité, ni comme une option. La diversité doit devenir la norme. Il y a une responsabilité économique, morale et sociale qui incombe aux différents acteurs. Heureusement, les choses évoluent, même si elles le font trop lentement. Mais cette prise de conscience a enfin eu lieu. Il ne reste plus qu’à définir une stratégie de déploiement pour que cette discrimination, le handicap étant la première cause en France, n’existe plus.

Q.2 : « Mon handicap, ce n’est pas moi, c’est ce qui se rajoute sur moi. » Comment résonne cette phrase de Bruno Gaurier avec ton propre vécu et ta perception du handicap ?

Je suis en partie d’accord, mais je n’ai pas tout à fait le même point de vue. Pour moi, chaque être humain a une « notice de fonctionnement » différente, qui lui est unique. Que ce soit un handicap, un trouble, une déficience, ou la neurodiversité, mon handicap fait aussi partie de ce qui me définit. C’est à moi d’informer les personnes et le milieu dans lequel je me trouve, sinon je ne laisse aucune chance à mon interlocuteur de le deviner.

80 % des handicaps sont invisibles et 80 % des personnes concernées n’osent pas le dire, ce qui est dramatique.

Mon handicap fait partie de moi et, bien sûr, il ne faut pas réduire une personne à sa maladie ou à son handicap. Par ailleurs, le handicap, ayant un impact sur mon quotidien, a fait de moi la personne que je suis aujourd’hui et m’a permis de développer d’autres talents : l’agilité, la résilience, l’empathie, la persévérance. Il faut en être fier.

Crédit photo : Caroline Bleux – Conférence Inspirante Audencia Alumni du 13.06.2024

Crédit photo : Caroline Bleux – Conférence Inspirante Audencia Alumni du 13.06.2024

Q.3 : Quels types de ressources et de soutiens seraient, selon toi, indispensables pour faire de l’inclusion une réalité dans toutes les écoles ?

Pour moi, il y a deux clés :

La co-construction : c’est ensemble et collectivement que nous pourrons relever ce défi. Il faut imaginer des solutions avec les personnes concernées. Sinon, on risque de créer quelque chose (un programme, des moyens matériels, etc.) qui ne correspond pas aux besoins. C’est du bon sens.

Avoir une vraie stratégie avec des objectifs mesurables, des plans d’action déployés à tous les niveaux. Sur le sujet de l’inclusion, trop souvent, on envisage des actions sans les ordonner, les prioriser ou avec une vraie vision.

C’est comme conquérir un marché sans faire de veille ou de test avant la mise en marché. Il faut être professionnel, d’autant plus que l’on traite de l’humain, et c’est ce que votre posture dira de vous.

Trop souvent, on se limite à de la sensibilisation ou des actions ponctuelles comme le DuoDay ou la SEEPH, alors que le handicap, c’est toute l’année que l’on croise et accompagne des personnes en situation de handicap.

L’aspect technologique et numérique est souvent sous-estimé, comme l’usage d’outils en conception universelle qui permettent à tous de les utiliser. En cela, l’inclusion numérique, pour assurer un accès équitable à chaque étudiant, est incontournable. Un autre exemple : l’accès aux sites est une chose, mais l’accès au savoir en est une autre. Si je n’ai pas de sous-titrage et que je ne suis pas suffisamment près pour lire sur les lèvres, je ne pourrai pas suivre le cours.

Q4. Qu’est-ce qui t’agace encore quand on parle de l’inclusion des PSH (idées reçues, comportements, etc.) ?

Les préjugés, les jugements de valeur négatifs sur le handicap sont la plupart du temps trop présents par méconnaissance. Il faut donc former les gens et permettre à ceux qui sont concernés de s’exprimer et se dévoiler sans crainte. On peut aussi imaginer des « Safe Place to Work ». Ce qui agace beaucoup les PSH, c’est le validisme, la charité, ou encore le fait qu’on leur fasse sentir qu’on les a pris pour atteindre des quotas. Il y a aussi le fait que nous faisons tout pour nous adapter aux « valides », ceux qui représentent la norme, alors qu’à l’inverse, personne ne fait un pas vers nous, ne serait-ce qu’en nous demandant : « De quoi as-tu besoin ? » ou « Qu’est-ce qui te manque pour y arriver ? »

Tant que le handicap ne sera pas normalisé, tant qu’on ne considérera pas qu’une capacité différente est une richesse, tant que les différences ne seront pas valorisées et vues comme un facteur de performance, les politiques d’inclusion et de diversité échoueront.

Or seule l’inclusion permet l’accueil de la diversité, et sans inclusivité, il n’y aura pas d’égalité.

Q5. Au contraire, qu’est-ce qui te rend fière lorsque tu portes ce sujet ? Quelles réussites ou progrès te donnent de l’espoir ?

Je ne ressens aucune fierté, si ce n’est vis-à-vis de moi-même, pour avoir réussi à m’accepter et à dépasser les obstacles. Avoir compris les clés de la réussite en matière de diversité et m’être engagée à promouvoir ce sujet, car il s’agit de vies entières qui peuvent soit se dérouler de la meilleure manière, soit être ruinées parce qu’on ne sait pas les accueillir. Ce qui me donne de l’espoir, c’est le fait qu’on puisse enfin en parler, qu’on reconnaisse – et cela a été constaté à l’occasion des jeux paralympiques – que chacun peut avoir du talent, même si son talent est différent du mien. Le plus dur reste de comprendre qu’une vie ne vaut pas plus qu’une autre. Je suis peut-être un peu naïve, mais la diversité, la solidarité et l’entraide peuvent permettre d’imaginer et de construire un monde plus juste, plus responsable et accessible à tous. Chacun peut y contribuer au quotidien ou en travaillant sur des sujets à impact. Enfin, toutes les personnes que j’ai eu la chance de rencontrer à Audencia sont formidables.

Il faut en profiter pour « casser les codes » du handicap et en faire un projet qui fédère tout le monde.

Cela peut devenir une formidable réussite collective.

Crédit photo : Caroline Bleux – Conférence Inspirante Audencia Alumni du 13.06.2024