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Vers une société « inclusiverselle » !

Diplômé du programme Grande École à Audencia, Bruno Gaurier (GE 1965) a consacré sa vie à l’inclusion des personnes en situation de handicap. Après ses études, il rejoint l’Association des Paralysés de France (devenue aujourd’hui APF France handicap), d’abord comme bénévole, puis se voit confier des postes à responsabilité comme le département des séjours de vacances, de la communication, des relations internationales dont il a été à la fois fondateur et directeur. Économiste, écrivain et traducteur, il est également expert auprès de la Commission européenne et des autorités, notamment dans le domaine du transport aérien des personnes à mobilité réduite. Il a par ailleurs pris part, dans le cadre du Forum européen des personnes handicapées, à l’écriture de la Convention internationale des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées. Son engagement toujours en cours et son expertise nous apportent un éclairage précieux sur l’accompagnement des étudiants en situation de handicap dans les écoles.

Selon vous, quels sont les principaux défis auxquels les jeunes en situation de handicap peuvent être confrontés au cours de leur scolarité ?

Bruno Gaurier : Je dirais que la première chose qui est absolument essentielle aujourd’hui, c’est que tout enfant, en situation de handicap ou non, a un droit fondamental à l’éducation. J’entends ici le mot « éducation » au sens anglo-saxon du terme qui comprend à la fois un suivi psychosocial et un suivi d’apprentissage scolaire ; soit un suivi de l’enfant dans l’acquisition de ses connaissances et de son apprentissage de la vie sociale.

En termes de scolarisation, il y a eu une évolution significative. Nous sommes passés d’une séparation avec des établissements spécialisés à une démarche inclusive des enfants handicapés dans les classes ouvertes à tous. Cependant, cela reste un défi, car de nombreux enfants sont encore sous-scolarisés ou déscolarisés en raison de leur handicap ; soyons clairs : en situation d’exclusion.

Pour qu’un enfant puisse acquérir le maximum de chances, ces premiers apprentissages sont l’étape nécessaire, incontournable. Un enfant qui aura été mis dès le début de sa vie avec d’autres enfants à l’école trouvera plus facilement sa place dans la société. Tout le monde est gagnant. Il est faux de penser que ces élèves font baisser le niveau d’une classe. Non seulement les niveaux ne baissent pas quand il y a des enfants en situation de handicap dans une classe, mais ils ont tendance à augmenter. Et ce, pour une raison simple. Cela développe de nouveaux apprentissages chez l’enfant, et une maturité psychosociale qui est nettement supérieure à une classe où il n’y a pas de diversité. Alors certes, cela se cultive et ce n’est pas donné d’avance, mais cela se construit.

« Tout enfant, en situation de handicap ou non, a un droit fondamental à l’éducation. »

Quels sont pour vous les ressources et les soutiens indispensables pour les étudiants en situation de handicap dans une école de commerce ?

B.G : La condition première c’est l’accessibilité. Cela commence par l’accès au logement, l’accès aux transports, l’accès physique de l’école mais aussi aux ressources pédagogiques. La loi du 11 février 2005 – pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées – a posé des obligations d’accessibilité mais qui ont été fortement réduites en 2018 avec la loi Elan. L’accessibilité reste donc un point crucial. Vous avez beaucoup d’enfants qui ont appris à se débrouiller tout seuls avec leur fauteuil roulant et qui, si tout était accessible, pourraient aller seuls à l’école. C’est l’un de nos grands plaidoyers.

Chaque école doit donc être physiquement accessible. Audencia en est un bon exemple. Je suis moi-même porteur d’un appareil de surdité et j’ai pu constater lors du Homecoming Day qui réunissait les anciens, parmi lesquels ceux de ma promo, que des efforts d’accessibilité et d’équipements avaient été réalisés.

Ensuite, il est fondamental de fournir un accompagnement personnalisé, dans toutes les phases d’accueil des étudiants. Cela commence avant même leur arrivée, lorsqu’ils souhaitent passer le concours d’entrée. Il faut voir avec eux en amont s’ils n’ont pas besoin d’assistance sur l’ordinateur ou d’un tiers-temps supplémentaire pour les examens. C’est au fond se dire, que va-t-on leur apporter pour s’assurer qu’ils soient au même niveau que les autres ? Les écoles doivent évaluer les besoins individuels des étudiants pour garantir l’égalité des chances. Psycho-socialement, il faut que la personne se sente placée dans des conditions normales pour pouvoir commencer, au même niveau d’égalité des chances que tous les autres, à travailler sur son concours.

Il existe aussi une autre problématique, celle des étudiants en situation de handicap qui partent à l’étranger dans le cadre de leurs études. Quels sont leurs droits à l’étranger ? Que reste-t-il de leurs droits français hors de nos frontières ? Comment faire pour les soins, pour les traitements médicaux qui n’ont pas le droit de sortir du territoire par exemple ? La question de ce que nous dénommons la « transportabilité des droits » est un concept sur lequel nous travaillons à APF France handicap et qui représente un véritable enjeu pour l’égalité des droits des personnes en situation de handicap.

Comment décrierez-vous le niveau de sensibilisation au handicap en France et chez les jeunes ? Est-on suffisamment sensibilisé ?

B.G : Là-dessus, je dirais oui et non. Il y a ce qu’on appellerait la sensibilisation au niveau du quotidien et ce que j’appellerais la sensibilisation un peu systématique et systémique, naturelle… Et celle-ci ne peut que renforcer celle-là. Aujourd’hui quelqu’un en situation de handicap ne sera plus montré du doigt dans la rue, mais désormais, par voie de conséquence, nous sommes confrontés à une indifférence croissante sur la voie publique, et ce n’est pas une meilleure chose. Il n’y a rien de pire que l’indifférence.

À titre personnel, je suis de ceux qui seraient demandeurs que l’éducation civique soit réinstaurée dans toutes les écoles, du primaire au secondaire, pour aider à renforcer la vie sociale et la citoyenneté. Enfant je me souviens que nous avions à l’école deux heures par semaine où nous parlions des autres. Nous apprenions à vivre les uns avec les autres. Pour moi, cela fait partie des apprentissages qui se jouent tout au long de la vie. Ces cours dits « d’instruction civique » étaient, c’est encore frais dans mon esprit, du plus grand intérêt.

Chez les jeunes, la sensibilisation s’améliore grâce à l’inclusion des enfants en situation de handicap dans les écoles maternelles qui acceptent tout naturellement leurs camarades. Ils apprennent dès le début de leur vie à ne pas commencer à séparer les gens. Le jour où, à tous les stades de la vie, nous aurons compris cela, nous aurons tout gagné.

« Ce n’est pas la personne qui est handicapée, mais bien, pour partie à tout le moins, la société qui crée le handicap. »

Comment améliorer l’accessibilité et l’inclusion des étudiants handicapés dans leur environnement académique et professionnel ?

B.G : C’est à la fois très simple et très compliqué. Je dirais que l’objectif est de créer un environnement où chaque étudiant peut s’épanouir et réaliser son plein potentiel, indépendamment de son handicap.

Notre principe à APF France handicap, c’est « venez comme vous êtes ». Mon handicap ce n’est pas le tout de moi, c’est ce qui se rajoute sur moi. Mon handicap, ce n’est pas mon âme, ce n’est pas mon esprit, ce n’est pas ce qui me constitue. Mon handicap, c’est une chose qui m’arrive, qui me tombe dessus par un accident, par un défaut qui se manifeste au moment de la naissance ou de type héréditaire, du fait de bien d’autres motifs encore… C’est quelque chose je n’ai pas choisi. Je suis moi-même, et il y a ce quelque chose qui se rajoute à moi, qui donne un nom à ma difficulté. Le drame, c’est quand on vous regarde à travers votre apparence et pas tout simplement comme qui vous êtes.

Pendant mes études à Audencia, j’étais déjà porteur d’un déficit d’audition. De temps en temps, on me disait, « pourquoi tu fais toujours répéter comme ça » ? Je faisais souvent répéter en face à face, mais c’était dans la vie courante, on ne faisait pas trop attention. Je ne me reconnaissais d’ailleurs même pas à l’époque comme porteur d’un handicap. C’était la vie. J’ai même, jusqu’à un certain âge, été musicien, chanteur ténor, chef de chœur. Et puis un jour la chose est devenue plus sérieuse, sur un ton de « privation » : on m’a dit en effet, « Monsieur, il faut porter des appareils. Si vous ne les portez pas maintenant, vous allez être embêté plus tard ». Et là, boum, j’ai appris que j’étais handicapé. Je n’entendais pas très bien, mais je ne savais pas que j’étais porteur d’une surdité évolutive. Et j’ai découvert les progrès fantastiques dans le domaine de l’appareillage et de l’aménagement de tous les locaux collectifs comme les salles de réunion ou de spectacle pour les malentendants. La boucle magnétique est devenue une bricole à aménager quand on intègre cette exigence au départ d’une construction. Juste une histoire de câblage et de récepteur radio ; et l’activation de la « prise T » (« T » comme téléphone) sur les appareils auditifs. Et puis, pour les personnes sourdes profondes, on le sait, la langue des signes fait des miracles aussi.

On tend de plus en plus vers une société ouverte à tous avec des concepts universels et où tout est conçu dans le partage avec les autres, comme avec l’arrivée de l’habitat partagé, mais aussi de nouveaux équipements pour la ville, les transports, les aménagements routiers, etc. Il est donc important dans cette réflexion de ne mettre personne de côté.

À APF France handicap, nous avons fabriqué un mot, celui de société « inclusiverselle », soit, précisément tout à la fois inclusive et universelle (partout et pour tous). Je crois dur comme fer dans un vocabulaire comme celui-là. Dans de nombreuses situations, on s’aperçoit que ce n’est pas la personne qui est handicapée, mais bien, pour partie à tout le moins, la société qui crée le handicap, rien que dans le regard. Si je suis devant un « bateau » à la sortie d’un garage, ou devant un trottoir, et si je peux monter seul(e) avec mon fauteuil électrique, l’aménagement que l’on pratiquera fera alors comme si mon handicap ne se voyait pas. Certes ma personne porte sur elle son handicap physique, sensoriel, intellectuel, psychique, et elle seule ; mais dans la vie courante, en société, dehors ou dans mon lieu de vie, ce sont les situations qui peuvent devenir handicapantes, du fait du regard des autres, de l’inaccessibilité, de toutes ces circonstances où il suffirait de prévoir, de planifier en fonction des besoins de chacun. En se disant que réfléchir à partir des personnes en situation de handicap, c’est en fait rendre service à tous. D’où l’importance majeure, incontournable, de se demander comment construire une société qui permette d’apprendre à vivre ensemble, toutes et tous avec chacune, avec chacun. Il suffit d’entendre tout le monde, de mettre tout le monde autour de la table et de se parler. Je dis bien, se parler.

N’oublions pas que la Défenseure des droits répète en toutes circonstances que le handicap est la première cause d’exclusion dans notre pays. Or un maître-mot s’impose, tout simple : « il suffisait d’y penser ». Et l’on s’aperçoit que « bien aménager l’environnement », ça ne coûte pas plus cher que l’aménager n’importe comment sans penser à l’utilisateur ou à l’usager des services qui se doivent désormais de faire en sorte d’être ouverts à tous, « tout à tous » …